
L'atelier-ferme
En amont des systèmes usiniers, on note une activité proto-industrielle qui se développe sous forme d’ateliers-fermes. Des agriculteurs pluriactifs développent une activité d’artisanat mécanisée, dans leur ferme ou en site propre, qui prend le pas sur l’activité agricole. La culture et l’élevage ne sont plus qu’un moyen de subsistance pour les ouvriers et la famille de l’exploitant. Les bêtes peuvent être employées comme force motrice pour les machines.
Les dirigeants-exploitants et les ouvriers, lorsque l’entreprise en compte, sont logés et nourris sur place. Les apprentis doivent dormir à l’exploitation ou à l’atelier ; c’est une sorte d’investissement sur la formation de ces jeunes qui, souvent mineurs, sont ainsi chaperonnés et fidélisés.
Les ouvriers qualifiés, plus âgés, peuvent se loger, lorsque le site le permet, dans le village proche. L’aspect de ces constructions reste alors proche de l’architecture rurale traditionnelle, bien que certaines exploitations ayant pris de l’ampleur utilisent déjà des moyens de construction nouveaux et semi-industrialisés dépassant rarement les cinquante ouvriers. Elle en comptent généralement une vingtaine.
Ces ateliers-fermes sont des clouteries, tréfileries, martinet, moulins, forges, hauts fourneaux, tuileries, salines … qui apparaissent dès le XVème siècle. Certains sites seront vite abandonnés lors de la révolution industrielle, d’autres s’adapteront et se développeront en manufactures et en usines.
Au XVIIIème et XIXème siècle, le développement économique de certains sites nécessite un nombre d’ouvriers plus important. Au bâtiment de l’atelier s’ajoute alors une aile de dortoirs.
Certains patrons développent une forme de gouvernance sur leurs employés, les logements sur site permettant d’avoir une main mise sociale et parfois morale sur l’ouvrier. Les patrons, estimant que l’ouvrier doit être impliqué aux mêmes causes qu’eux-mêmes, peuvent parfois imposer, au cours des repas que certains président, la prière ou la lecture de la bible.
Ces fabriques sont parfois appelées « usine-couvent » parce qu’elles fonctionnent sur un principe de communauté qui vit quasiment en autarcie.
Quelle que soit la taille de l’entreprise, ces formes de logement accueillent les ouvriers sans leur famille.

1. Taillanderie, Nans-Sous-Sainte-Anne, Doubs (25)
Description :
Implantation du bâti
Les premières formes de proto-industrie sont généralement excentrées des villages et implantées à proximité des ressources naturelles nécessaires à leur fonctionnement comme l’eau, utilisée pour sa force motrice, ou à d’autres ressources naturelles comme le bois.
2. Plan d’organisation villageoise
Certaines manufactures utilisent des techniques et des machines actionnées par la force animale, qui leur permet de s’établir sur des terrains éloignés des cours d’eau. Leur besoin d’espace leur impose néanmoins de rester à l’écart des bourgs.
Deux modes d’organisation sont à retenir :
- plusieurs bâtiments sont organisés sur le site en fonction de leur destination, de la forme du terrain (etc.), et ils forment une ou plusieurs cours.
- un seul bâtiment homogène et cohérent se développe généralement en U ou autour d’une cour-cloître. Ainsi il arrive que le site soit entièrement contrôlé et enceint par un bâtiment. On accède alors à la cour par une porte cochère qui devient un élément de passage symbolique annonçant l’importance de l’institution.
Les ouvriers disposent d’un jardin et s’adonnent pendant leur temps libre à des activités agricoles qui profitent à la communauté et complètent parfois un salaire.

3. Plan schématique de l’organisation du site de l’atelier-ferme
|
Abords immédiats et annexes
La disposition des bâtiments de ces sites génère souvent des espaces extérieurs réglés et géométriques, comme des cours ou des placettes en terre battue ou en graviers.
L’abord des constructions est souvent pavé ou dallé.
Des annexes liées aux fonctions agricoles et à la commodité des ouvriers sont souvent installées dans l’enceinte de l’exploitation : fontaine, lavoir, abreuvoir, bûcher, soue, infirmerie, jardins potagers.
|
Volumétrie générale
Dans les premières formes de proto-industries, les logements sont implantés directement dans le bâtiment de production, plus rarement dans la maison des propriétaires. Ainsi, dans les forges et hauts-fourneaux du XVème siècle, les artisans sont au plus près de leur travail, dans une chambre attenante à la forge, à la fonderie, à la grange, etc.

4. Organisation logement/atelier, Vaux-lès-Saint-Claude (39, four et logement de la tournerie)
Dans les exploitations embauchant de la main d’œuvre, des dortoirs sont aménagés à l’étage au-dessus des machines pour les internes apprentis, plus rarement pour les ouvriers qui disposent d’une chambre dans la maison des propriétaires.
5. Schéma de l’organisation logement/atelier, Vaux-lès-Saint-Claude (39)
L’atelier-ferme développe un vocabulaire architectural plus ou moins rural en fonction de la taille de l’entreprise et des ambitions du propriétaire.
Les bâtiments, surtout pour les exploitations les plus anciennes et les plus petites, conservent une apparence rurale. Leurs volumes sont simples et homogènes, comparables à ceux des fermes. Ils ont un plan rectangulaire sur un ou deux niveaux.
6. Taillanderie de Nans-sous-Sainte-Anne (25)
Les bâtiments les plus importants présentent une écriture architecturale davantage travaillée avec des volumes importants, des fenêtres nombreuses et grandes ainsi qu'un plan et des façades réglés et composés. Les techniques et les matériaux employés pour la construction sont pré-industrialisés et standardisés. On perd le caractère artisanal de la construction.

7. Usine de la Roche, Bart (25)
|
Systèmes et matériaux de construction
Selon la taille de l’entreprise et l’époque de construction, les matériaux et les procédés de construction varient :
- des matériaux traditionnels trouvés sur place,
- des matériaux pré-industrialisés à partir de la fin du XIXe.
Les bâtiments construits selon des techniques traditionnelles et avec des matériaux locaux utilisent des pierres issues de carrières proches ou de l’épierrage du site, pour constituer la structure porteuse de l’édifice. Celle-ci est composée de murs porteurs périphériques et de murs de refend. Les murs de refend divisent la longueur de la construction et reprennent le poids des planchers et de la charpente régulièrement. Les pierres qui composent les murs sont des moellons, elles sont grossièrement équarries et posées en lits parallèles. Les moellons étant tous de tailles différentes, leur assemblage produit un mur aux joints incertains. Les pierres sont liées entre elles par du mortier de chaux.
Aux angles de la construction, on réalise un chainage en pierres de taille qui permet de répartir efficacement les charges aux endroits où la construction est la plus sollicitée.

8. Chainage, Nans-Sous-Sainte-Anne (25), CAUE 25

9. Matériaux utilisés (moellon, bois, tuiles, zinguerie, métal), Nans-Sous-Sainte-Anne (25)
Pour protéger la maçonnerie des intempéries et permettre les échanges thermiques, les murs sont toujours protégés par un enduit à la chaux passé en trois couches. Un temps de séchage est respecté entre chaque passe. La première couche est le gobetis, c’est un passage grossier qui permet d’accrocher l’enduit à la maçonnerie. La deuxième couche est le corps de l’enduit. Enfin la dernière couche est la finition pour donner un aspect esthétique choisi à l’enduit, qui peut être plus ou moins lisse.
Dans certaines régions où le sol est argileux et les pierres rares, on réalise des structures à pans de bois. Cette structure est complétée par un remplissage en briques ou en torchis. Le torchis est une préparation à base de terre que l’on humidifie et à laquelle on peut ajouter de la paille. Cette préparation est appliquée sur un tressage de branches souples réalisé entre les éléments bois porteurs. La structure bois et le torchis sont rarement laissés apparents. Un clayonnage ou un enduit à la chaux peuvent être réalisés afin de protéger la structure des intempéries.
A la fin du XVIIIème et au XIXème siècle, les bâtiments les plus importants utilisent des techniques de constructions et des matériaux mixtes. Les murs périphériques restent porteurs et de forte épaisseur (0.60 cm-0.50 cm) mais les murs de refends s’espacent pour obtenir de grand plateaux libres d’ateliers. La reprise intermédiaire du poids des planchers est assurée par une trame de poteaux réalisés en pierre, en bois ou en fonte. L’utilisation de la fonte en construction ne se généralise qu’à la fin du XIXème siècle.
Pour réaliser les murs, on associe des moellons de calcaire à la brique de terre cuite. Généralement, l’ensemble du mur reste en moellons, et seuls les éléments qui étaient en pierres de taille dans les constructions traditionnelles, sont réalisés en briques. La brique est fabriquée en série à partir de 1830. Elle permet de construire plus vite et en lits réguliers, grâce à sa forme géométrique et ses dimensions standardisées (22 cm x 11.5 cm x 5.5cm). Le coût de la construction est donc mieux maitrisé.
Les murs sont liés et entièrement enduits à la chaux. Sauf cas exceptionnels, la brique n’est pas laissée apparente, c’est un matériau poreux sensible à l’eau.
|
Toitures
La toiture reste traditionnelle, en longs pans, parfois avec demi-croupes ou croupes qui permettent d’éviter l’arrachement lié au vent. L’inclinaison des pans de toiture dépend de la région où est construit le bâtiment, de la surface à couvrir et des matériaux de couverture.

10. Croquis des toitures traditionnelles
Les débords de toiture sont créés selon les pratiques de la région où se trouve la construction et de l’activité qu’elle abrite. Ainsi, elle peut, par exemple, servir pour entreposer du matériel à l’abri de la pluie. L’avancée de toiture peut alors être quasiment nulle (0-40 cm), en avancée posée sur des consoles ou encore en avancée posée sur des poteaux en bois.

11. Croquis des différents débords de toiture

12. Diagramme des pentes

Lorsque les toitures descendent très bas, elles sont parfois retroussées pour ne pas gêner le passage. Ce découpage peut remonter jusqu’à la pane sablière.
13. Courlans, Jura
Pour les structures les plus petites, le bois et les pierres de lave sont employés en couverture. Pour les plus grandes, les tuiles plates, canal, en écailles puis plus tard mécaniques, sont préférées, moins coûteuses et délicates à poser.
Les premiers types de tuiles de terre cuite sont produits dans la région par des entreprises locales dans des communes au sous-sol argileux. Les productions de tuiles locales disparaissent en partie après la première révolution industrielle et en quasi-totalité à la seconde.
|
Ouvertures
En fonction du type d’activité, de l’époque de construction et de l’importance du site, la dimension des ouvertures varie. Les fenêtres s’agrandissent lorsque l’activité demande de la lumière et de la précision (lunetterie, horlogerie).
Jusqu’au XVIIIème siècle, le verre est soufflé et la dimension des carreaux de vitrage est limitée. Pour réaliser de grandes ouvertures, plusieurs carreaux sont assemblés et maintenus par des petits bois, sur un châssis simple ou en guillotine.
La dimension des portes intérieures et extérieures augmente également pour pouvoir passer des chariots et des matériaux.


14. Taillanderie de Nans-Sous-Sainte-Anne (25)
15. Syam (39)
Pour créer les encadrements de portes et de fenêtres, différents matériaux sont utilisés : la pierre dure, le bois, la brique puis, plus tard, la poutre métallique.
Les linteaux sont :
- droits lorsqu’ils sont en pierre de taille ou en bois;
- arqués lorsqu’ils sont en briques.
Pour des raisons structurelles et économiques, les linteaux des grandes ouvertures sont réalisés en briques arquées, et ce jusqu’à l’apparition de la poutre métallique au XIXème siècle. Quel que soit le matériau employé, sauf cas exceptionnel, les piédroits et linteaux sont enduits à la chaux pour prévenir leur détérioration. L’enduit est particulièrement fragile à cet endroit de la construction, car posé en couche mince. Il en subsiste donc généralement peu de vestiges même si, par ailleurs, le mur est resté enduit.

16. Courlans (39)
17. Nans-sous-Sainte-Anne (25)
|
Matières, textures, couleurs
L’enduit a essentiellement une fonction protectrice des matériaux de construction. Il a également une fonction esthétique, donnant à la façade un aspect soigné et une fonction identitaire, sa coloration étant autrefois donnée par le mélange de la teinte de la chaux et le sable de rivière.
Les menuiseries sont traditionnellement peintes et constituent la palette d’accompagnement. Leurs couleurs donnent sa personnalité à la façade. Les pigments sont obtenus à partir des éléments disponibles : sang de bœuf, suie de cheminée, sulfate de cuivre, etc. Seuls les bois nobles des portes d’entrée restent apparents (châtaignier, chêne).
Le point sur les enduits à la chaux

18. Différents enduits du Jura : La Chaumusse, La Rixouse (2 et 3), Leschères.
Les protections de façade par des éléments en bois sont peu utilisées, les bâtiments d’exploitation devenant trop importants et les droits de chazal, droit à la coupe du bois, étant restreints au XVIIIème siècle.
Les chainages et encadrements de portes et de fenêtres présentent deux tailles :
- les parties destinées à rester apparentes sont bouchardées finement, les bords peuvent être travaillés au ciseau pour créer une bande lisse,
- les parties de la pierre de taille destinées à être enduites sont bouchardées plus grossièrement pour permettre à l’enduit d’accrocher.
|
Déclinaisons départementales :
25 - Doubs
Taillanderie de Nans-Sous-Sainte-Anne (25)
|
39 - Jura
L'atelier-ferme
Retrouvez ici les maisons du Jura citées dans la partie Descriptions & éléments architecturaux
|
|
Nuage de tags
Collectivité territorialeCollectivité territorialeLe CAUE apporte son expertise et ses conseils aux collectivités territoriales en les accompagnant dans la définition et la concrétisation de leurs projets d’aménagement et de construction.
Il intervient le plus en amont possible avec un souci constant d'approche globale et de large concertation.
Conçue comme un outil d’aide à la décision, la mission de conseil du CAUE s'exerce en amont de l'intervention du maître d'Œuvre, en toute objectivité et dans l'intérêt collectif. Cadre de vieCadre de vieLes CAUE ont pour mission de promouvoir et améliorer la qualité du cadre de vie :
- en suscitant des démarches de qualité dans les domaines de l'architecture, de l'urbanisme, de l'environnement et des paysages
- en favorisant la participation des habitants à l'élaboration de leur cadre de vie CULTURECULTUREArt. 1er. - L'architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public[...]
Par la Loi 77-2 du 3 Janvier 1977 sur l'architecture qui les a institués, les CAUE participent à la sensibilisation du public à la qualité architecturale et urbaine, à la préservation de l’environnement en développant la culture et la pédagogie en matière d’architecture et d’urbanisme.
Ils contribuent ainsi à ouvrir le champ de la culture, afin que le grand public et les élus puissent partager leur connaissance du territoire et participer à l'élaboration du cadre de vie de demain. CAUECAUELe Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement est un organisme départemental créé à l’initiative du Conseil général et des services de l’État dans le cadre de la loi sur l’architecture de 1977. Investi d’une mission de service public, le CAUE est présidé par un élu local. Lire la suite... Conseil aux particuliersConseil aux particuliersOrganisme public de conseil, le CAUE apporte les compétences nécessaires aux personnes qui désirent construire pour apprécier à la fois la qualité architecturale de leur projet et leur bonne insertion dans le site. Le conseil ne concerne pas les seuls particuliers qui construisent, rénovent une maison ou ravalent leur façade mais aussi certains professionnels comme les agriculteurs, artisans... Le conseil du CAUE se situe très en amont de la maîtrise d'oeuvre, la connaissance du territoire et des projets des élus permettant de replacer le projet dans un paysage urbain ou rural.
|